mardi 8 mai 2007

Le coup du saké, un dîner chez Mizuna

Un certain samedi matin, sur le chemin du marché (avec mon nouveau cabas, j'étais contente), nous nous sommes arrêtés chez Yotsuya, une boutique japonaise près de la place du Champ Jacquet. Le propriétaire de ce magasin m'apparaissait il y a encore quelques temps comme un vieux Japonais bougon, avare de sourires et de mots gentils mais vendant de la si jolie vaisselle que je m'étais résolue à ce visage cadenassé et à sa courtoisie aride. Mais, à force de lui acheter des petits bols, des assiettes, de l'encens, des maneki neko et tout simplement à force de traîner dans sa petite boutique juste pour le plaisir, il s'est miraculeusement déridé. En fait, il sait sourire. Et même rire. Tous ces progrès m'ont encouragée à entamer la conversation l'avant dernière fois où nous y sommes allés pour acheter un de ces petits chats porte-bonheur pour l'anniversaire de mon papa (c'est un tout petit cadeau mais il l'a beaucoup amusé, j'étais contente), je lui ai demandé s'il savait où je pourrais trouver du matcha à Rennes (oui voyez-vous, j'ai cherché un peu partout et je suis un peu frustrée de ne pas, moi aussi, faire des madeleines au matcha, du cheesecake au matcha, de la pannacotta au matcha, que sais-je...) Il a répondu par un énigmatique sourire et est allé faire coulisser la porte d'une petite étagère. Il en a sorti une sorte de moulin à café qui en fait s'est révélé être un moulin à thé: il m'a expliqué avec un plaisir et une malice non dissimulés que ce petit moulin permettait, après cinquante tours, d'obtenir une fine poudre de thé vert à partir de feuilles de thé classiques et que cet instrument lui avait changé la vie et que de toute façon le matcha qu'on achète en France n'est pas du bon matcha, à moins d'y mettre le prix (tout au long de son discours, j'ai pris pour la première fois conscience des traits de son visage et loin du visage renfermé de mon souvenir, je découvre une physionomie agréable, souriante, malicieuse). Ce moulin est un peu cher mais il dure éternellement me dit-il et il est vite rentabilisé quand on sait le prix du matcha. Je lui demande alors s'il sait où trouver le petit "blaireau" en bambou que les Japonais utilisent pour fouetter leur matcha ce à quoi il me répond qu'il suffit de mettre la poudre et l'eau dans une bouteille et de bien agiter. Hum hum... Je n'ai pas acheté son petit moulin (joli en plus de toutes ces qualités) mais je n'y ai pas non plus complètement renoncé...

Mais ce samedi-là, nous n'avons pas discuté avec le propriétaire de Yotsuya; nous y sommes juste passés comme pour avoir un petit agrément supplémentaire avant d'aller au marché, mais, alors que nous nous apprêtons à partir, je remarque sur la porte une carte postale qui annonce qu'un nouveau restaurant japonais s'est installé à Rennes. Jusqu'ici, nous étions fidèles au Fuji où les dames sont si gentilles, le poisson si frais et la glace au thé vert si douce et voluptueuse, mais si les voyages forment la jeunesse, les restaurants forment aussi les papilles et nous étions ravis d'en avoir un nouveau à essayer (en fait, il y a quelques mois un autre resataurant japonais a ouvert rue Vasselot et nous y sommes allés plein d'entrain sauf que nous avons vite déchanté: si le cadre est très joli, l'endroit n'a de japonais que l'enseigne, le cuisinier ne sait visiblement pas faire des sashimis ni même acheter du poisson frais au vu des piteux lambeaux de saumon fluo qui surmontait un riz de fort mauvaise qualité). Nous avons ainsi décidé d'aller à Mizuna le soir-même et nous avons réservé une table pour vingt-et-une heure trente, un quart d'heure après la fin du film dont je rappelais l'existence chaque jour à G. tant mon envie de le voir était grande. Finalement, sa réticence s'est justifiée, c'était juste nul, ma voisine a ronflé et G. a eu la gentillesse de ne pas soupirer toutes les cinq minutes (preuve habituelle de son ennui) jusqu'à ce que moi-même me révolte devant tant d'invraisemblances et de méconnaissance de l'érotomanie et des soins qu'on peut y apporter. Entre deux scènes grotesques, G. chuchotait: "Heureusement qu'on va bien manger après!". C'est vous dire l'enthousiasme que nous développions quant à ce repas chez Mizuna.
L'endroit est charmant. Avant, il y avait un restaurant russe à cet emplacement, nous avons voulu y aller à plusieurs reprises mais il a souffert de notre velléité. L'espace est tout petit, il y a dix tables à peine et une en terrasse. La lumière est feutrée, les tons sont doux. Les luminaires sont jolis. Le menu est inscrit sur une ardoise. Les toilettes sont extrêment propres, petit rideau japonisant et photo de là-bas au-dessus du lavabo. Derrière nous une table de profs évoque les dérives sarkozystes sans savoir encore comment les choses vont malheureusement se concrétiser.
Le serveur est un grand garçon que nous soupçonnons avoir vendu des jeans ou des chaussures dans une vie antérieure (en fait, je suis persuadée de l'avoir déjà vu quelque part, mais où?) Il nous accueille en lançant gentiment: "Vous allez bien?" ce qui est un peu déroutant vu qu'on ne se connait pas (ou alors il nous a vraiment vendu un jean ou des chaussures ou bien on l'a croisé à l'hôpital mais renseignement pris, il se trouve que non).
Par la petite ouverture qui sépare la salle des cuisines, j'aperçois le profil concentré de la cuisinière, une jeune femme asiatique dont la physionomie ne permet pas précisément de deviner son pays exact d'origine (d'autant que l'exercice est souvent difficile: les gens pensent parfois que je suis japonaise ou vietnamienne ou thaïlandaise -vous remarquerez que ce n'est pas très cohérent- alors qu'en fait pas du tout mais est-ce vraiment important?) Elle est toute seule en cuisine ce qui explique la petite attente entre chaque plat mais elle est toute pardonnée, cela doit être épuisant.
Nous choisissons de goûter en entrée des kolokés décrits comme des croquettes de pomme de terre farcies de viande et de légumes. Nous voyons ainsi arriver deux croquettes sphériques, toutes dorées de chapelure, avec un peu de mayonnaise à la ciboulette. Elles sont visiblement fraîchement préparées, fumantes. Le serveur demande innocemment si nous voulons des couverts en lieu et place des baguettes élégamment disposées sur des petits galets et cette question me paraît quelque peu incongrue vue ma physionomie à moi mais bon, on va dire que c'était par politesse. Autre bizarrerie de ce néanmoins gentil garçon, alors que G. s'étonne de la température du saké que nous avons commandé (le breuvage est froid), le serveur répond avec aplomb que le saké ne se boit chaud qu'en Chine mais pas au Japon, ce qui n'est pas tout à fait exact (nous nous en doutions un peu mais nous avons vérifié en rentrant) mais bon, il propose de le réchauffer et garde le sourire.
Les croquettes dorée et fumantes donc. Nous les rompons d'un coup de baguette et nous découvrons une farce de légumes et de viande hachée. La texture est agréable, c'est bien chaud mais le goût n'est pas très prononcé, on dirait un peu des croquettes de hachis parmentier mais ce n'est pas non plus désagréable, disons que ça n'a pas beaucoup d'intérêt.
Les plats. Nous en choisissons deux que nous partageons. D'une part du Buta No Kaku Ni, d'autre part du Kara Agué. Les deux sont servis avec un riz (très bien) et une salade de mizuna et d'aubergine (très rafraîchissante).
Le premier plat, présenté comme une potée japonaise (et qui a vraisemblablement remporté un franc succès ce soir-là puisque nous en avons eu la dernière portion) consiste en de tendres morceaux de poitrine de porc caramélisés accompagnés de tranches de radis noir tout aussi caramélisé, le tout entouré d'un bouillon au mirin, ce vin doux sucré et légèrement acidulé. C'est très bien fait, c'est très bon (même si ce n'est pas très chaud, mais j'avoue que je suis un peu maniaque avec la température des plats au restaurant. En fait, quand ils sont servis dans des assiettes bien chaudes, je ne me sens pas pressée de les finir avant qu'ils ne refroidissent, c'est plus agréable. Je sais, je suis un peu pénible à vivre...).
Le second plat est très classique mais très réussi, il s'agit de morceaux de poulet entourés d'une friture très légère, avec du sésame noir de-ci de-là et surmontés d'une petite salade de graines germées. La sauce acidulée va fort bien avec le tout. G. a beaucoup aimé. Les profs de derrière ont choisi un assortiment de sushis et l'assiette est fort appétissante.
En dessert, ma jalousie est mise à rude épreuve (oui, en plus d'être maniaque quant aux assiettes chaudes, je suis jalouse pour un rien, mais je me soigne. Je précise que la cuisinière est venue faire un tour en salle et qu'elle est très jolie) puisque nous choisissons un cheesecake à la vanille que j'aurais voulu faire. La texture est divinement crémeuse et le dessus est caramélisé comme les crèmes brûlées, c'est délicieux. Il est accompagné d'une compotée de fraises très goûteuse qui se mariait très bien avec le parfum de la vanille. Les autres douceurs du menu faisaient toutes envie: du pudding de mangue, de la glace matcha/jasmin, du gâteau d'azukis...
Le temps passe vite à Mizuna. Nous en sortons ravis, c'est très mignon, assez ludique et les papilles sont en fêtes même si certains plats manquent un peu de caractère (mais ils n'avaient ouverts que deux jours auparavant alors il s'agit peut-être d'une période de rôdage). Nous continuerons sûrement d'aller au Fuji pour leur sushis, leur tokoyakis, leur prévenance et leur sourire mais nous irons aussi certainement de temps en temps à Mizuna, ne serait-ce que pour le cheesecake!

Mizuna: 3 rue d'Argentré 0299791866
Le Fuji: 4 rue Derval 0299381200
Yotsuya: 16 rue du Champ Jacquet 0299790450

Posté par Patoumi